Si l’œuvre de Wagner a toujours suscité vives émotions et fortes réprobations, s’il est réputé que la pesanteur et la richesse parfois anxiogène de l’instrumentation associées à la longueur de certains opéras amenaient les spectateurs de nature fragile à la syncope autant qu’au délire, cela faisait bien longtemps que l’opéra Tannhäuser de Wagner n’avait provoqué aussi vif malaise et violent scandale que ce samedi 4 mai, au Rheinoper de Dusseldorf.
Alors que 2013 fête le bicentenaire de la naissance du compositeur et que les représentations hommages au concepteur de « l’art total » fleurissent partout dans les programmations des grands orchestres et opéras, il en est une qui fait bien malheureusement parler d’elle. En effet, alors que Tannhäuser, opéra en trois actes du maître allemand, créé en 1845, devait être l’un des temps forst de cette fête, la transposition du drame sous le régime nazi
par le metteur en scène Burkhard Kosminski écœure les spectateurs, provoquant violences et évanouissements, autant qu’indignation d’une Allemagne déjà meurtrie par les récentes actualités remuant le passé fasciste et meurtrier du pays.
Sous couvert de vouloir exacerber et donner une autre dimension au thème de la culpabilité et du pardon intrinsèque au drame, le metteur en scène a en effet porté sur les planches, brouillard et scènes d’asphyxies représentant les chambres à gaz, tueries, viols, rasage à blanc d’une famille juive avant exécution et autres sévices émanant tout droit des camps de concentrations. Des scènes insoutenables, surgissant dès le premier acte de l’opéra (la scène d’ouverture voit en effet des chanteurs enfermés dans un container en verre à l’intérieur duquel ils sont peu à peu entourés d’un brouillard blanc) suscitant huées, et vives agitations de spectateurs, allant jusqu’à marteler aux portes au bout de la première demi-heure pour sortir d’une représentation devenue pour eux cauchemardesque et infernale. L’épreuve psychologique et morale vira même pour certains membres de l’auditoire à une révulsion physique, nécessitant pour certains un transport à l’hôpital.
Pour mieux comprendre la réaction du public et l’inadéquation de cette interprétation un bref rappel s’impose. L’action de Tannhäuser se situe au XIIIème siècle et relate l’aventure du personnage éponyme, un poète et chanteur prisonnier volontaire de la déesse Vénus jusqu’au jour ou, désireux de retrouver liberté, nature, salut et amour de dieu il est renvoyé par celle-ci dans la vallée de Wartburg. Là, il retrouve les chevaliers qu’il avait jadis quitté pour les voluptés du Venusberg, de même que le Landgraf Hermann et sa savoureuse nièce Elisabeth que le malheur et la langueur assaillaient depuis le départ de Tannhäuser. A l’occasion d’un concours de chant dont le thème est l’amour, le troubadour fait scandale en célébrant l’amour charnel qu’il a connu dans les bras de Vénus. Menacé de mort, il est sauvé par la requête d’Elisabeth auprès de son père mais néanmoins sommé de se rendre à Rome afin d’obtenir le Saint Pardon papal. Désespéré de ne l’avoir obtenu, le troubadour s’en retourne au Venusberg. C’est alors qu’en chemin, apparaît une procession funéraire portant le corps d’Elisabeth morte de chagrin en priant désespérément le salut de celui qui ravît son cœur. Troublé par cette perte, Tannhäuser meurt à son tour alors qu’arrivent à sa suite les jeunes pèlerins venus apporter la nouvelle du divin miracle annonçant le suprême pardon du chanteur.
Si en effet, le thème de la faute et du pardon sont bien présents dans l’œuvre de Wagner, force est de constater que rien dans l’action ne peut permettre un tel rapprochement avec les actes nazis commis sous la seconde guerre mondiale. Le drame est ici purement galant, la faute est grivoise et bien que très répréhensible au XIIIème siècle, passible de mort, le conflit reste celui de la chair opposée à l’esprit, de l’amour voluptueux à l’amour courtois, et l’on peine à concevoir ce qui, dans cette œuvre a bien pu inspirer une mise en scène si choquante et macabre. On déplore donc un rapprochement bien trop alambiqué et cette détestable impression que la scénographie résulte d’une lubie de metteur en scène cherchant à tout prix à « faire du nazisme » et de la contestation là où il n’a pas lieu d’être. Certes, nous ne sommes pas sans ignorer les pensées antisémites du compositeur, et nous ne sommes pas sans ignorer la passion du Führer pour la musique grandiloquente, guerrière et puissante de celui qui aujourd’hui encore est vu comme LE grand maître du romantisme et véritable pilier de l’histoire de la musique, mais est-ce une raison suffisante pour rapprocher Wagner et nazisme à tout bout de champ et donner lieu à des interprétations aussi fallacieuses qu’inadaptées?
Défendant sa liberté artistique Burkhard Kosminski a refusé malgré les sollicitations de l’opéra de Dusseldorf d’édulcorer sa pièce. Interrogée par The Guardian, la direction a précisé ne pas vouloir se moquer mais bien vouloir rendre hommage aux victimes de l’holocauste. Un hommage choquant, plus que maladroit et visiblement incompris, et pour cause… Si l’œuvre n’a pas été déprogrammée et reste à l’affiche, une version de concert est désormais proposée au public.
Visuels : capture d’écran: http://www.melty.fr : mise en scène de Burkhard Kosminski.
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