Si la désactivation par la Banque centrale italienne de la cinquantaine de terminaux électroniques de paiement en activité sur le territoire du Vatican sème indubitablement le trouble parmi les dizaines de milliers de touristes présents à Rome ces jours-ci, il faut y voir plus qu’une simple incohérence administrative ou bureaucratique. Même si cette hypothèse, en Italie, ne doit jamais être complètement écartée.
En effet, depuis plusieurs mois, se multiplient les signes d’agacement de la Banque d’Italie vis-à-vis de la « Banque du Vatican », l’IOR (Institut pour les Œuvres de Religion), considérée comme « extra-communautaire », c’est-à-dire non européenne, et donc suspecte de blanchiment d’argent, voire, n’ayons pas peur des mots, de financement du terrorisme ….
L’IOR bénéficie en effet d’un statut international particulier fondé sur l’extraterritorialité propre au Vatican. Créée en 1872, réformée par Pie XII en 1942, cette banque est une institution privée dont le patrimoine était estimé en 2008 à 5 milliards d’euros. Elle gère 44 000 comptes courants destinés aux « oeuvres de religion et de charité ». Son accès est, en théorie, réservé aux résidents de la Cité du Vatican, aux membres de la Curie, ainsi qu’aux congrégations et ordres religieux. En vertu de son privilège d’extraterritorialité, l’IOR n’était pas tenue de respecter les normes financières en vigueur pour les établissements italiens et européens. Cette particularité facilitait les transferts financiers à destination d’institutions religieuses, notamment dans des pays aux gouvernements hostiles à l’ Eglise. Mais elle a permis aussi des transferts inavouables, par exemple, dans les années 1980, à la suite de la faillite de la banque Ambrosiano. Depuis, Benoît XVI a, à de nombreuses reprises, exigé la mise en place d’une réelle transparence financière mettant le Vatican au niveau des autres pays occidentaux en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Et le Conseil de l’Europe a reconnu, en juillet 2012, les efforts considérables réalisés.
C’est dans ce contexte que la Banque centrale italienne a d’abord interdit l’encaissement sur le territoire italien de chèques émis par l’IOR, notamment ceux adressés à la filiale italienne de la Deutsche Bank, partenaire. C’est ainsi que ceux-ci sont physiquement expédiés par le Vatican à la maison-mère allemande, qui en encaisse le montant. Quiconque veut payer une facture au Vatican doit faire un virement international en Allemagne.
Par ailleurs, en 2011, la banque américaine JP Morgan Chase a du fermer le compte de l’IOR à son agence milanaise. Près de 1,5 milliard d’euros auraient transité sur le compte les dix-huit mois précédant la décision. « Compte tenu de l’absence de réponse de l’IOR à nos demandes sur quelques transferts précis », JP Morgan a constaté « ne pas disposer d’informations suffisantes pour pouvoir continuer à fournir paiements et encaissements ».  Depuis, l’IOR ne dispose d’aucun guichet ni compte sur le territoire italien.
En septembre 2010, la justice italienne avait placé sous séquestre, dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent, 23 millions d’euros d’avoirs du Vatican dans les banques italiennes. Le Saint-Siège avait nié et évoqué un transfert de fonds entre ses comptes. En juin 2011, l’argent avait été débloqué, mais les magistrats romains ont poursuivi leurs recherches. Celles-ci ont connu un nouvel élan, dont peu de choses a filtré, en juin 2012 après la garde à vue (pour une autre affaire) de l’ex-président de l’IOR, Ettore Gotti Tedeschi, tout juste « démissionné » de ses fonctions par son conseil d’administration.
Enfin, la vigilance de la Banque d’Italie sur les terminaux de paiement électroniques du territoire du Vatican a été éveillée lors d’une inspection de routine en 2010. Depuis plusieurs années, aucune autorisation n’avait été demandée à cet effet. Et lorsque, en 2012, elle a été formulée, la Banque a refusé, toujours en raison de ce caractère « extra-comunautaire ». D’où les foules qui se pressent aujourd’hui, en vain, aux portes des Musées et des boutiques du Vatican.
Paradoxalement, en interdisant de fait les paiements électroniques, la Banque centrale italienne semble accroître les flux en liquide, par définition non traçables. Il y a donc, derrière cette mesure, d’autres signes à interpréter.
Il ne suffira probablement pas au Vatican de changer de banque partenaire ou de prestataire électronique pour apaiser la méfiance, feinte ou réelle, de la banque d’Italie.