Ce processus fait pas mal de bruit en ce moment, et pourtant est-ce tellement surprenant ? Le départ de jeunes et moins jeunes spécialistes d’Europe de l’Ouest vers des contrées lointaines ne date pas d’hier. Avec la crise économique et le chômage qui frappent de plein fouet le continent européen, cela n’a fait que s’accentuer. Parmi les destinations, on retrouve du tout : Canada, Chine, Australie, USA, Emirats arabes unis et autres pays du Golfe, Russie/CEI, Brésil et d’autres pays d’Amérique latine, Inde, etc.... Pourtant l’Afrique était très peu citée, remportant constamment le « titre » de continent émetteur de migrants. Mais qu’en est-il en réalité et surtout depuis les dernières années ?
Et bien, la réalité est que l’Afrique devient effectivement, et de plus en plus, une terre d’accueil pour bon nombre de gens venus chercher des opportunités de réussir, dont bon nombre d’Européens. Et là, nous ne parlons pas d’expats, une « caste » spéciale, qui a toujours été activement présente sur le continent africain, mais bel et bien de gens, dont beaucoup de jeunes, qui prennent individuellement le départ en quête d'une nouvelle vie et ayant pour but de réussir par tous les moyens. Un phénomène que plusieurs médias occidentaux et autres ne manquent plus d’aborder (Courrier International, Jeune Afrique, Al Qarra TV,...), voire, comme Radio RMC, d’aller encore plus loin et de poser carrément la question de savoir si l’Europe ne deviendra pas à terme la nouvelle main d’oeuvre de l’Afrique... Compte tenu de la situation de plus en plus précaire dans certains pays de l’UE et des taux de croissance du PIB des pays africains approchant, voire dépassant les 10% comme c’est le cas du Ghana, champion d’Afrique en la matière, dont le taux de croissance réelle du PIB approche les 14% (source : CIA World Factbook), il n’y a pas forcément de quoi s’étonner.
Parmi les principaux pays européens émetteurs de migrants à destination d’Afrique, on citera l’Espagne et le Portugal, tous deux traversant une très sérieuse crise économique et un chômage galopant (surtout chez les jeunes). On compterait ainsi à l’heure actuel plusieurs dizaines de milliers de travailleurs espagnols (permanents ou temporaires) au Maroc (quatre fois plus nombreux sur le territoire marocain que cinq ans auparavant). Bien que les Espagnols soient les premiers cités, le Royaume chérifien compte également aujourd’hui de plus en plus de Français, Italiens, Allemands, Roumains,... et dont bon nombre d’entre eux sont bien loin d’être des expats. En ce qui concerne les Portugais, leur destination de prédilection en Afrique est l’Angola, ancienne colonie portugaise et l’un des cinq pays lusophones du continent africain.
Le Portugal, avec son taux de chômage certes moins important que celui de l’Espagne, mais atteignant tout de même le chiffre très alarmant de 15%, se voit de moins en moins offrir d’opportunités intéressantes à ses jeunes diplômés qui s’envolent massivement vers de nombreuses destinations, dont l’Angola (croissance du PIB supérieure à 12,5% en 2012) et dont la capitale Luanda est devenue l’une des villes les plus chères du monde. Ils seraient près de 30 000 Portugais chaque année à demander un visa pour leur ancienne colonie et seraient déjà plus de 150 000 à s’y être installés, dont la plupart des diplômés de haut niveau. C’est sans oublier le fait que le Portugal dépend aujourd’hui de plus en plus de capitaux d’entreprises angolaises (atteignant les 120 millions d’euros), faisant du Portugal le pays européen dont l’économie n’aura jamais autant dépendu d’une de ses anciennes colonies.
A part l’exemple du Maroc et de l’Angola, on peut citer également l’Afrique du Sud, la Namibie, l’Algérie, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, ainsi que d’autres pays du continent accueillant (notamment selon les liens historiques) bon nombre de Néerlandais, d’Allemands, de Britanniques, et bien entendu de Français. D’ailleurs, qui dit flux migratoire massif, et aujourd’hui on peut véritablement parler de flux migratoire et non « d’exceptions », dit aussi immigration illégale. Ils seraient ainsi des centaines d’Espagnols et de Portugais à être reconduits à la frontière chaque année au Maroc et en Angola, pour ne citer qu’eux.
Autre point important, si l’Angola avec sa capitale en plein boom de construction d’infrastructures emploie massivement les ingénieurs portugais, cela concerne également et de plus en plus des emplois destinés aux ouvriers sans qualification. De même au Maroc, les nombreux migrants espagnols travaillent aujourd’hui dans le royaume à des postes ne nécessitant pas de qualification spéciale (ouvriers divers, serveurs,...), surtout dans le nord du pays, une région qui entretient des liens étroits avec l’Espagne.
Monde à l’envers pour certains ? Conséquences de la mondialisation pour d’autres ? Ou simplement petite revanche d’un continent très riche, représentant l’avenir et pourtant caractérisé par des clichés ancrés par les médias occidentaux et pas seulement (pauvreté, guerres, famines, immigration, etc)... ? Cela porte à croire qu’il s’agit surtout d’une preuve supplémentaire que lorsque le continent africain, ou du moins sa bonne partie, se libérera pleinement de ceux qui exploitent ses ressources depuis bien trop longtemps, ainsi que de leurs pantins locaux, et pourra ainsi profiter pleinement des richesses qui lui appartiennent de droit, les clichés négatifs habituels sur l’Afrique ne deviendront alors probablement que de vieux souvenirs. N